Ne confondez pas le capitalisme libéral avec le capitalisme "à la Davos" !
Par Institut Turgot le jeudi 22 octobre 2009, 18:14 - Article - Lien permanent
Si nous devions aujourd'hui décerner un prix pour le meilleur article sur le capitalisme écrit à l'occasion de la crise, c'est sans aucun doute à Michael Miller, auteur de "Davos Capitalism: Adam Smith's Nightmare", paru sur le site de l'Acton Institute, le 25 mars dernier, que nous l'attribuerions.
Dans « La Richesse des Nations », Adam Smith lançait cet avertissement : « les gens du même métier se réunissent rarement, même pour s’amuser et se divertir, sans que la conversation se termine par une conspiration contre le public ou par quelque procédé visant à faire monter les prix ».
Les manigances des dirigeants d’entreprise au cours de l’année dernière, qui ont provoqué une grave perte de confiance dans les marchés et à des appels à davantage d’intervention étatique, montrent malheureusement qu’Adam Smith avait raison. Malheureusement, le problème va plus loi que Fannie Mae, Freddie Mac, Merrill Lynch, AIG ou toute société qui aurait fait la une des journaux.
Adam Smith, qui avait publié son œuvre maîtresse en 1776, mettait en garde contre la connivence entre les entreprises, mais ce que nous subissons aujourd’hui est quelque chose de bien plus insidieux – ce n’est pas seulement entre les entreprises, mais entre les entreprises et les hommes de l’état, et toutes sortes d’autres acteurs qui se rencontrent, et s’entendent sur notre dos, dans la station chic de Davos en Suisse. C’est le cauchemar d’Adam Smith.
Ce n’est pas du capitalisme libéral : c’est le capitalisme façon Davos, un capitalisme de gestionnaires dirigé par une élite éclairée — politiciens, chefs d’entreprises, gourous de la technologie, des bureaucrates, des universitaires et des célébrités – tous réunis pour tenter de rendre plus intelligent, ou plus humain, le monde de l’économie. Cela pourrait même être, comme Bill Gates est réputé l’avoir dit l’année dernière à Davos, un capitalisme plus « créatif ».
L'Homme de Davos
C’est feu Samuel Huntington qui avait a inventé le terme « L’Homme de Davos » – un individu sans âme, technocratique, sans nation et sans culture, détaché de la réalité. La théorie économique contemporaine que présuppose le forum de Davos est tout autant le capitalisme sans âme, un capitalisme managérial, qui réduit l’économie à la mathématique et la détache de l’action ainsi que de la créativité humaines. Et nous avons eu de l’admiration pour « l’homme de Davos ». Qui ne serait impressionné par les rassemblements annuels du Forum économique mondial de Davos ? Impeccablement habillés, éloquents, riches, célèbres, républicains, démocrates, conservateurs, travaillistes, socialistes, avec leurs contacts, leur pouvoir et leur intelligence.
Et puis, lorsque l’économie s’est effondrée, gestionnaires et technocrates ont perdu la foi dans les marchés. Mais ils n’ont certes pas perdu la foi en eux-mêmes, et ils voudraient aujourd’hui que nous leur abandonnions encore davantage le soin de gérer l’économie. S’ils réussissent ce coup-là, c’est à une confusion fondamentale qu’ils le devront : au fait qu’on a confondu le capitalisme à la Davos avec le capitalisme libéral.
Un beau tour de passe-passe
Même si c’est le produit d’une action de la droite comme de la gauche, avec des racines qui remontent à plusieurs décennies, une grande partie de la confusion actuelle provient des travaux des New Democrats et du New Labour au début des années 1990 : l’Union soviétique s’était effondrée et, en Europe et aux Etats-Unis, l’économie à la Keynes était un échec. Politiquement, on ne pouvait plus se permettre d’employer le langage de la planification centrale, si bien que des politiciens astucieux comme Bill Clinton ou Tony Blair se sont mis à employer un langage libéral. Ils parlaient d’un capitalisme plus intelligent, d’une mondialisation maîtrisée, d’un état la main dans la main avec les entreprises et de partenariat public/privé. Ils parlaient la langue du libéralisme tout en pratiquant une forme corporatiste du capitalisme.
C’était là un beau tour de passe-passe, et politiquement un coup de maître ; et de nombreux libéraux s’y sont laissés entraîner. C’est ce qui fait que, dans l’esprit de beaucoup, la liberté économique est censée avoir échoué. En fait, ce n’est pas le cas. Et la première étape vers le redressement passe par une description correcte du problème.
L’attrait du capitalisme façon Davos est compréhensible : des gens intelligents qui résoudraient nos problèmes, qui mettraient fin à la pauvreté dans le monde et aux vicissitudes des marchés financiers. C’est, selon les termes de T.S. Eliot, __le rêve « de systèmes si parfaits que personne n’y aurait besoin d’être bon__ ». Or, il n’existe pas de système de ce genre. La morale est indispensable. Et aucun n’aurait marché même si les hommes et les femmes réunis à Davos avait vraiment été les meilleurs et les plus brillants de tous. Car aucun groupe n’est assez bon, assez intelligent ni assez prophétique pour gérer de façon décentralisée les milliards de possibilités et de choix qui composent le marché.
Les marchés ne sont pas sans âme
On a tendance à se représenter un marché comme une force inanimée, et l’économie comme une sorte d’alchimie, où seuls quelques brillants initiés sauraient ce qui se passe. Mais les marchés ne sont pas sans âme : ils représentent des relations concrètes entre des personnes, et les constructions technocratiques de Greenspan, Paulson, Geithner, Bernanke et les tentatives des gouvernements Clinton-Bush-Obama pour « gérer » l’économie ont bien montré que les « gestionnaires » n’en savent guère plus que nous. Nous avons essayé la troisième voie, celle de cette illusion -- qui s’appelle Davos — et c’est un échec. Il y avait un autre choix possible, mais on ne l’a pas essayé. Si on avait laissé les marchés opérer librement, ils auraient réagi à la réalité et l’auraient traduite telle qu’elle est ; mais au lieu de cela, la politique des états a protégé les entreprises et les individus contre les conséquences de leurs choix et, ce faisant, a entretenu une société d’adolescents, du moi d’abord.
Le but de la liberté économique n’est pas de créer une société de producteurs et de consommateurs qui serait en équilibre. Si la liberté économique est importante, c’est parce qu’elle crée un espace pour que les gens y vivent leur liberté, prennent soin de leurs familles et assument leurs responsabilités. Si la liberté économique est nécessaire, c’est parce qu’elle permet aux gens de prendre des risques et de créer de la prospérité pour une vie prospère. Si on a besoin de liberté économique, c’est parce que, sans elle il ne peut y avoir de liberté politique. L’une et l’autre nécessitent, pour se maintenir, que les individus soient vertueux et que la culture soit morale. Ni une culture d’adolescent qui s’abandonne à ses caprices, ni une culture sans âme coupée de ses racines historiques, des sacrifices et des combats de nos ancêtres, dont l’esprit et le dévouement à la liberté ont rendu celle-ci possible, ne seraient suffisantes.
Lord Action a écrit : « La liberté est le fruit fragile d’une civilisation arrivée à maturité ». Il nous faut recommencer le travail de reconstruction de la culture morale – une culture qui soit vouée à la vérité, à la responsabilité et à une profondeur spirituelle que l’homme de Davos ne peut apporter. C’est notre liberté qui en dépend.
Michael Miller est directeur des programmes à l’Institut Acton et chapeaute également les activités internationales de cet Institut. Avant de rejoindre l’Acton Institute, il a passé trois ans à l’Ave Maria College of the Americas au Nicaragua, où il enseignait la philosophie et les sciences politiques et présidait la faculté de philosophie et de théologie. Le centre d’intérêt de ses recherches porte sur l’économie politique, la philosophie morale, le développement économique et la théorie politique.
Commentaires
Merci pour cet article lucide et parfaitement argumenté.
Le "capitalisme Davos", n'est plus un capitalisme, et tourne résolument le dos au libéralisme. En fait, il s'agit d'une résurgence moderne de la féodalité : des multi-milliardaires, des patrons de conglomérats industriels internationaux et apatrides sont de connivence avec des politiciens de haut vol pour abolir la concurrence, mettre le délit d'initié au rang de principe de management, et se bâtir des fiefs d'où ils dominent le paysage géopolitique. Une nouvelle noblesse se crée, domine l'économie, au détriment des myriades d'entreprises petites, moyennes ou grandes qui, elles, jouent le jeu du libéralisme, comptent avant tout sur leur travail, leur savoir faire, leur marketing, etc.
Bien entendu, le jeu est inégal, et la nouvelle noblesse se taille la part du lion. Ce système là, nous devons le dénoncer et le combattre, car la rapacité de ses tenants nous mène à la ruine économique et à la perte de nos libertés les plus fondamentales.
C'est d'une importance triviale, mais je pense que vous vouliez ecrire "Lord Acton" plutot que "Lord Action" :)
Excellent article !
Le libéralisme a effectivement deux forces à combattre.
Ses adversaires, les étatistes.
Ses faux amis, les "industrialistes" (il faudrait sans doute trouver un autre terme.)
Ces faux amis font un tort considérable aux idées libérales et nous privent de soutiens nombreux.
(On pourrait rajouter dans les faux amis, les grandes banques, grandes profiteuses de la politique monétaire étatique tout en étant assimilées à tort comme des purs produits du libéralisme)
J'avais publié il y a quelques mois une plaidoirie pour un nouveau discours libéral :
http://danieltourre.hautetfort.com/...
Excellent article. Je me permets de renvoyer à un article en français aux idées proches: "Le terme de capitalisme ayant acquis des significations variables, allant jusqu'à désigner un système qui soit à l'opposé du libéralisme, il est préférable de parler de capitalisme libéral pour désigner le système économique qui découle des idées libérales. "
http://www.wikiberal.org/wiki/Capit...
Merci
Voilà un article excellent, que j'ai publié ce matin sur frendfeed, twitter et facebook: quelques commentaires, je vais en faire un "copié collé "sur mon blog...